Noël en famille : les résidents en Ehpad aussi

Ehpad Collectif Familles 42
5 min readDec 1, 2020

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« L’humain plus fort que la peur » (1) — Lettre ouverte du Collectif Ehpad Familles 42, envoyée le 25 novembre 2020

A Monsieur le Président de la république
A Monsieur le Premier Ministre
A Monsieur le Ministre des Solidarités et de la Santé
A Madame la Ministre déléguée à l’Autonomie,
A Monsieur le Sous-Préfet,
A Madame la Députée,
A Mesdames, Messieurs les élus à l’Assemblée Départementale,
A Mesdames, Messieurs les membres des Agences Régionales de Santé,
A Mesdames, Messieurs les Directeurs d’Ehpad,
A Mesdames, Messieurs les présidents des Conseils d’Administration.

Depuis le début de cette crise inédite, notre Collectif aurait souhaité une concertation, afin de trouver un équilibre dans les mesures sanitaires drastiques prises en Ehpad.

« Protéger sans isoler » — tel est le nom de la « Charte des Ehpad » en date du 30 octobre. Mais sur le terrain, nous constatons que ces préconisations gouvernementales ne sont pas appliquées.

Quelques Ehpad restent encore complètement fermés aux visites, sans communication avec les familles sur la vie dans la résidence. D’autres ouvrent de 30 minutes par semaine, ou même 30 minutes tous les 15 jours.

Dans son allocution du 24 novembre, le Président de la République a évoqué « les visites en familles pour Noël avec lever du couvre-feu les soirs de fêtes ». Mais il n’a pas dit un mot sur le sort des résidents en Ehpad pendant cette période.

« Protéger sans isoler » : malheureusement, les faits montrent le contraire. Isoler tous les résidents dans leur chambre depuis plus d’un mois, alors que certains ne sont pas malades, n’a pas empêché le virus de rentrer. Les résidents n’en ont pas été protégés, pire, ils y ont été exposés. C’est là le drame sanitaire de cette crise en Ehpad : « On a voulu protéger la vie, on a protégé la vie biologique. Or la vie est indivisible. Elle est biologique, mentale, philosophique », rappelle la philosophe Cynthia Fleury. (2)

A partir de fin septembre, dans la plupart des Ehpad que nous connaissons, les familles ont été interdites de visites. Elles ont été stigmatisées comme contaminantes. Or l’épidémie n’a cessé de circuler depuis, transmise par le personnel, dont certains membres ont même dû continuer de travailler après avoir été testés positifs. Toujours faute de personnel, les unités Covid n’ont pas toujours pu se mettre en place et des Ehpad fonctionnent sur un « mode dégradé ». Cela a été notifié à des familles par une direction qui a eu l’honnêteté de l’écrire.

Cette gestion de crise a été pire pour les résidents : ceux qui ont résisté au premier confinement, ne se battent plus et « glissent ».

Ils n’ont pas eu droit à la parole et « on leur impose une fin de vie dramatique ». « L’isolement tue », rappelle la psychologie Marie de Hennezel (1).

Pour les raisons exposées ci-dessus, Il faudra répondre de ces décès et de ces résidents qui se sont sentis abandonnés. Et alors que les leçons du premier confinement n’ont pas été tirées au sujet de ces questions essentielles, un mouvement national émerge.

Nombre de familles se sont vu refuser des dérogations pour des visites demandées au titre de dégradations psychologiques, en dépit de certificats médicaux les justifiant. Plusieurs directions ont répondu : « si j’en donne une à une famille, il faudra en donner à toutes ». Un constat que l’ensemble des résidents n’allait pas bien psychologiquement ?

Il s’agissait à ce moment-là de se poser les bonnes questions et d’adapter les mesures.

Pourquoi ne pas s’inspirer des pratiques de ces directeurs d’Ehpad qui ont maintenu les visites en faisant confiance et en collaborant avec les familles ? Le quotidien Ouest France s’est fait l’écho des pratiques exemplaires de l’un d’entre eux dans un Ehpad de Niort, qui refuse de « considérer les familles comme un danger ».

A Noël, les résidents d’Ehpad et leurs familles seront-ils encore les oubliés du déconfinement — comme en mai ?

Sous le poids de ces souffrances accumulées, les familles craquent.

Certaines ont repris définitivement chez eux leur proche — ou envisagent de le faire -, d’autres ont accueilli leur proche pour un temps donné. Nous pouvons témoigner de la difficulté d’une telle prise en charge à domicile.

Nous demandons à ce que les paroles des familles de résidents en Ehpad soient enfin écoutées et que ces familles soient considérées comme responsables.

Nous apprenons aujourd’hui que dans un Ehpad du Forez, c’est un agent de la protection civile — en uniforme ! — qui surveille les familles lors des 45 minutes hebdomadaires de visite dans la salle du restaurant, comme dans un parloir de prison. D’autres visites familiales ont lieu sous vidéo-surveillance. La population en Ehpad est désormais assimilée à une population carcérale.

Un document du 20 novembre du Ministère des Solidarités et de la Santé affirme que « les mesures de protection sont renforcées dans tous les établissements accueillant des personnes âgées afin de protéger les résidents sans les isoler. »

Mais à la lecture de ce document, les familles ont le sentiment que l’étau se resserre autour d’elles et des résidents, dans un tout sécuritaire qui exclut implicitement toute réouverture des Ehpad aux visites, jusqu’à nouvel ordre.

Il est urgent de retrouver du bon sens, de l’éthique et de l’humanité.

Dans un document rédigé mi-novembre, notre Collectif a transmis au Département de la Loire une proposition de reconnaissance de l’aidant familial institutionnel, au même titre que celle des aidants familiaux.

Un changement de mentalité doit s’opérer pour construire un projet commun autour du résident (loi de février 2002). Le clivage et la défiance actuelle entre directions, soignants et familles n’ont plus lieu d’être.

Restaurons le résident en tant que sujet. « Cette crise doit amener à une réflexion sur l’essentiel … qu’est-ce qui est essentiel pour une personne âgée ? » (1)

Il y a urgence : Noël est dans 25 jours.

Pour le Collectif Ehpad Familles 42,
Bernadette OJARDIAS et Annie ROUSSEAU
Contact : ehpad.collectif.familles42@gmail.com
Twitter : @Ehpad42

(1) Marie de Hennezel, psychologue et écrivaine, « L’adieu interdit », Editions PLON, octobre 2020 et emission Egosystème de la RTS du 14/11/2020
(2) Cynthia Fleury, émission Egosystème de la RTS du 14/11/2020

Note : cette lettre envoyée le 25 novembre a été légèrement modifiée et éditée avant sa mise en ligne le 2 décembre 2020.

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Ehpad Collectif Familles 42

Collectif qui demande le maintien du lien avec les résidents en Ehpad. Ecrivez-nous : ehpad.collectif.familles42@gmail.com